‘Hanoukka

‘HANOUKKA, FETE DES LUMIERES

JERUSALEM
de Elio Carmi

 

Il s’approche et allume la lampe. Il a du mal à l’atteindre, il est si petit et la fête est si grande. C’est ce qui se passait avant et avant encore. Puis tout à coup cela a cessé, tout comme il y a cent et mille ans, désormais une nouvelle force destructrice voulait scientifiquement fermer les portes du Temple, pour conditionner l’avenir de tous les avenirs. C’était une guerre, la plus grande et la plus désastreuse que l’homme ait jamais conçue et menée. Un mal énorme avait occupé l’Europe et impliqué l’univers. Puis les nouveaux Maccabées libérèrent le Temple et de nouveau la lampe de ‘Hanoukka , cet objet formidable et extraordinaire, beau, grand, solide retrouva sa place.

Mais il n’y avait pas d’enfants pour l’allumer et il n’y avait aucune certitude. Les jours qui venaient de s’écouler étaient extrêmement présents ; ils accompagnaient malgré eux ceux qui n’avaient même pas la force de souffler mot, pour raconter l’inracontable. Cependant, il fallait honorer la vie, aller au-delà et surmonter tout ce qui n’a pas encore été surmonté aujourd’hui. Ne pas refouler la Shoah, mais l’évoquer parce que c’est ainsi que l’on construit l’avenir.

Le devoir de rappeler est un acte nécessaire. Dans ce sens, les objets nous aident énormément, peut-être sont-ils nés à cet effet, car ils renferment dans leur essence la mémoire des gestes et des valeurs symboliques et matérielles qui racontent nos histoires, l’histoire de l’humanité.

Le Conseil s’était donc réuni. Se retrouver tous ensemble pour retourner à soi-même. Pour décider comment et quoi faire de ce qui était resté pour les quelques personnes vivant encore à Casale. Il s’y trouvait encore la Synagogue, et de l’autre côté de la mer il existait le seul endroit au monde où un Juif pouvait se sentir protégé, ou du moins l’espérer. C’était ce lieu qu’il fallait soutenir, aider, construire. C’est en exprimant nos pensées à ce propos, alors que nous marchions et franchissions les portes de la maison et du Temple, qu’une idée prit forme. Il s’agissait de remonter morceau par morceau la lampe en bronze, celle qui avait vu bien des fois des enfants s’approcher et essayer gauchement de l’allumer, la lampe que toutes les personnes de la Communauté avaient admirée, voyant la lumière qui s’approchait d’eux et les réchauffait d’une énergie enveloppante de substance et de forme, de beauté et de puissance, la lampe qui accompagnait depuis toujours la narration du miracle et de la victoire que les mères et les pères racontaient en récitant les courtes et simples prières. L’idée était de la reconstruire non pas ici, mais de l’apporter là où un jour, si ici il n’y avait eu plus personne, plus aucun enfant, là-bas quelqu’un aurait probablement rallumé les lumières des enfants de Casale, celles qui avaient été emportées par des choses et des raisons dont personne ne voulait plus parler, car le souvenir était si douloureux qu’il valait mieux renoncer à la parole.

C’est ainsi qu’en 1946 la lampe prit le chemin d’une nouvelle maison, elle alla en Israël, elle entra dans la Synagogue italienne où elle s’offre depuis lors à la vue de ceux qui vont l’admirer. Là-bas elle attend chaque année que se repropose le miracle de la lumière car c’est à ce moment-là et sans que personne ne le sache, qu’elle voit dans les yeux des enfants le reflet des anciens murs baroques qui l’avaient entourée avec tendresse pendant cent ans, avant la guerre. Il est important de comprendre que notre lampe n’est pas empreinte de nostalgie, elle est consciente d’avoir participé à l’Histoire, à l’histoire juive, celle de Casale, du Montferrat et, en quelque sorte, de l’Humanité. Elle se trouve physiquement à Jérusalem, c’est là qu’elle vit et qu’elle remplit sa tâche. Mais pour nous son essence est ici, et c’est dans le Musée des Lumières que son histoire continue, ancienne et moderne, comme le Monde.